Il me semble que le rapport présent au répertoire ne peut pas être autre chose qu’une traversée de l’œuvre ancienne, un geste de tri qui prend et laisse, fragmente, fracture, construit le nouveau sur l’ancien. C’est à ce prix qu’on évitera l’infini travail de ravalement de façade de la vieille œuvre et qu’on sauvera le théâtre du musée. Il faut cesser d’interpréter. Il faut transformer. Évidemment, toute transformation est un combat avec l’œuvre, et les œuvres du passé sont parfaitement capables de vous terrasser.
Jean-Marie Piemme, Accents toniques, Journal de théâtre 1973-2017, Editions Alternatives théâtrales, 2017, page 276
RC
Est-ce à dire qu'il ne faut plus monter les œuvres en texte intégral mais adapter, couper, ajouter voire réécrire?
JMP
On ne peut pas éternellement piller le répertoire sans l’appauvrir. Molière et Shakespeare mis à toute les sauces sous prétexte qu’ils sont éternels et toujours nos contemporains (cette sottise!) ne peut conduire qu’à un épuisement de l’esprit de celui qui le fait et de celui qui le regarde. Je ne récuse évidemment pas les œuvres du passé, loin de là, mais je m’accommode mal de l’opportunisme avec lequel on les glisse dans la programmation (attention, valeur sûre) ou par lequel on se fait remarquer comme metteur en scène. Je comprends que dans un univers hyperconcurrentiel, il faille trouver une façon de se faire voir et de rassembler, mais à trop tirer sur la corde, elle finira par casser. Au plan personnel, il m’est déjà de plus en plus difficile de voir du Molière et ou du Shakespeare pour la seule raison que j’en ai trop vu. Et je suis intiment persuadé qu’une conception trop patrimoniale de la culture sent un peu trop sa bourgeoisie. La culture n’est pas un coffre en banque dans lequel on va puiser sans qu’un jour la réserve finisse par se tarir. Je vois la culture, la pratique des arts comme un mouvement permanent, ce que c’était déjà pour Shakespeare par exemple, qui n’a cessé de réécrire les textes des autres. Donc, oui, adapter, changer, réécrire : la tradition nous le propose et seuls un romantisme en retard et une conception notariale de la culture et des arts peut nous faire considérer les textes comme sacrés, intouchables.