mardi 12 juillet 2022

Des tableaux qui nous inspirent

Les sources d’inspiration d’un auteur sont souvent tortueuses et lui sont parfois opaques. On ne sait pas toujours ce qu’on sait, et ce qui vient faire déclic à l’instant de l’écriture peut provenir d’une lecture oubliée, d’une rencontre fugace, d’un signe du réel incompris jusque-là. Telle ou telle idée, tel ou tel détail inféconds trouvent soudain une juste place dans un processus qui jusque-là ne les incluait pas. Je parle en connaissance de cause. Certains tableaux me convoquent. Je ne les ai pas choisis en toute souveraineté, comme le ferait un connaisseur très averti de l’histoire de la peinture. Ce sont les hasards de la vie qui me les ont imposés, me les imposent. Et d’aimer tel ou tel tableau ne fait pas de moi un connaisseur de l’œuvre entière du peintre. Mes compétences en matière d’art pictural sont quasi nulles : grande mon ignorance des codes d’expression ou des débats qui ont pu traverser le genre à diverses époques. Vus où, ces tableaux, concrètement ? Difficiles à dire. Le musée pour quelques-uns, les Bruegel par exemple, à Bruxelles où j’habite), reproduction pour les autres, beaucoup d’autres, dans des livres d’art. Quand j’emploie le mot « convoquer », c’est au sens fort du terme. C’est une réelle injonction. Je la reconnais comme impérieuse au temps que je passe à regarder telle ou telle peinture sans savoir exactement ce que je vois ou ce que je dois regarder. Mais regarder, simplement regarder, est à ma portée. Regarder ces tableaux-là me rend actif. Oui? Non, faux. On ne peut pas dire ça comme ça. Actif : pas systématiquement. Pas d’emblée. J’ai longtemps regardé des tableaux « qui me parlaient » sans savoir qu’en faire. C’est le syndrome du poisson devant une pomme. En tout cas, je nomme ainsi cette étrange situation de savoir que quelque chose vous pousse sans que vous ne puissiez déterminer exactement ce que cette poussée vous veut.

Jean-Marie Piemme, Accents toniques 2 et Accents toniques 3, 2017-2021. (Inédits)


RC
Dans ce que tu écris, je trouve une résonance directe avec l'écriture de ma pièce Gloire de Juno. Une équipe que je connais bien me passe commande. Peu de contraintes si ce n'est quatre personnages, une histoire de voisins dans un immeuble. Des désirs imprécis, une envie de jouer sans exigence particulière. Je me retrouve le mardi avec cette commande et deux mois et demi pour l'exécuter. Le vendredi je suis dans le métro à la Gare Montparnasse, prêt à partir en vacances. Et surgit dans mon esprit un tableau de Bartholomeus Spranger, Hercule et Omphale. Je le connais depuis l'enfance et il me fascine, mais savoir pourquoi il m'est venu à l'esprit à ce moment-là est une énigme. Du tableau, je me souviens surtout de l'Hercule en robe au regard de chien battu et de l'air malicieux d'Omphale dont la nudité est plus ou moins dissimulée sous la peau du lion de Némée. Je suis bientôt dans la voiture puis dans la chambre et j'écris, au fil de la plume (mais sur l'ordinateur), de façon compulsive, ne sachant pas ce qui se passera à la scène suivante. Je râle tout seul "c'est n'importe quoi" mais j'écris tout de même pour aller au bout de cette étrange pulsion. Le vendredi suivant la pièce est achevée. Elle revisite, comme tu le sais, les amours d'Héraclès et Omphale dans un immeuble avec les femmes d'un côté, la vieille et manipulatrice Juno et la jeune Omphale, et les hommes de l'autre, Chichi, avatar de Chiron, mentor d'Alcide, jeune athlète. Je fais lire ce texte à l'équipe le mardi suivant, qui s'enthousiasme pour cette pièce champignon. Je suis encore tout étonné de la façon dont tout cela est sorti de moi. Je vais revoir le tableau et le choc: outre Hercule et Omphale, on trouve dans le coin gauche une vieille femme qui surveille avec un geste de cornes et en haut un puttini qui veille sur les amants. Ne sont-ils pas Juno qui agit dans l'ombre et Chichi, qui aurait troqué ses sabots pour des ailes? Je ne m'en souvenais pas, mais ils étaient quelque part dans ma tête et sont sortis avec l'écriture. Tout d'un coup, l'énigme du jaillissement du tableau dans mon esprit était résolue. L'avoir consulté longuement enfant, vu et revu, sans savoir ni pourquoi il me fascinait ni que ça aurait un tel usage, faisait enfin sens.

Des tableaux qui nous inspirent

Les sources d’inspiration d’un auteur sont souvent tortueuses et lui sont parfois opaques. On ne sait pas toujours ce qu’on sait, et ce qui ...