mardi 3 mai 2022

Du papillonnage

Comme à mon habitude, je lis cinq ou six livres simultanément. Je n’ai pas la lecture paisible. Lisant, je suis impatient, vite saturé, injuste, infidèle, j’ingurgite par petits fragments, je peux commencer par le dernier chapitre, je suis vite nostalgique du livre que je ne lis pas (puisque je suis occupé à en lire un autre), une citation interrompt facilement ma lecture, je pars à la recherche du livre d’où elle vient, ce livre me conduit à un troisième, je reviens au premier, je me maudis de n’avoir pas le numéro d’une revue dont on parle dans une note en bas de page, je lis deux fois, trois fois le même passage, puis je saute dix pages parce que j’ai l’impression que ça patine, bref, la ligne droite m’ennuie et je ne m’amuse à penser qu’en zigzag. Je ricoche sur ce que je lis, mieux que le caillou sur le lac. L’avantage de ce que je n’ose appeler ma méthode, c’est que je suis amené à relire, à reprendre des choses lues depuis longtemps dont le souvenir me vient tout à coup.

Jean-Marie Piemme, Accents toniques, Journal de théâtre 1973-2017, Editions Alternatives théâtrales, 2017, page 348


RC
C’est ce que j'appelle papillonner et que j'essaie depuis des années d'assumer comme une méthode et non comme une incapacité à me concentrer. Notamment car par ailleurs, je suis assez organisé et capable de suivre un programme, contrairement à mon compagnon qui est incapable d'aller d'un point A à un point B sans s'arrêter mille fois devant des vitrines, des affiches ou des paysages. Lui, néanmoins, est capable de rester sur son livre sans broncher, ne se déconcentre pas, ne papillonne pas. À chacun ses moments papillons! Toujours est-il que je me reconnais beaucoup dans ce que tu décris. Parfois, je me pose devant ma bibliothèque, ouvre un livre, feuillette, lit un extrait ou une notice, rebondis vers un autre ouvrage. Je passe de Sénèque par Florence Dupont à Euripide, je vais revoir quelques croquis d’André Degaine et m'arrête aisément sur quelques scénographies élisabéthaines qui pourraient me donner envie de Marlowe, mais comme je n'ai que Shakespeare et une pièce de Ford, je refeuillette cette dernière ou veut relire la préface de l’Hamlet traduit par Markowicz. Bref, les textes mais aussi les notices, les commentaires de traductions et les ouvrages plus atypiques comme le fac-similé du Registre de La Grange sont autant de fleurs à butiner de façon hasardeuses et homéopathiques. J'ai longtemps cru que c'était un défaut, tant j'imaginais la capacité d'un lecteur assidu à rester sur le fil d'un seul ouvrage, de la préface à la postface.

JMP
C’est évidemment l’école qui nous culpabilise. Elle ne tolère qu’un mode d’apprentissage. Et peut-être faudrait-il aussi distinguer des modes d’apprentissages différents selon les activités auxquelles on s’adonne. Je suppose que les professions liées à la découverte du réel (médecin, chimiste, astrophysicien, etc.) demandent un suivi et une systématicité que ne réclament pas nécessairement les professions liées à la transmission des arts et encore moins celles qui sont liées aux activités de l’imaginaire.

Des tableaux qui nous inspirent

Les sources d’inspiration d’un auteur sont souvent tortueuses et lui sont parfois opaques. On ne sait pas toujours ce qu’on sait, et ce qui ...