Il est bon qu'émane d'un théâtre une proposition artistique radicale, mais cette radicalité ne doit tout de même pas conduire le théâtre à se couper le pied.
Jean-Marie Piemme, Le Souffleur inquiet, Editions Espace Nord, 2012, page 307
RC
C'est-à-dire? Des exemples?
JMP
J’ai lu il y a longtemps une phrase (de qui et où, je ne sais plus) qui disait en gros « je connais un homme tellement radical que pour prouver sa radicalité, il se coupait le pied ». Une façon de dire qu’une radicalité trop cultivée pour elle-même finit souvent en catastrophe. Dans la société, voir le terrorisme de Baader par exemple. Au théâtre, cela vise ceux et celles qui se veulent tellement radicaux que la salle petit à petit se désertifie. Et on peut se demander ce qu’est une radicalité sans public? Qu’est-ce qu’une manifestation théâtrale (pointue selon ses concepteurs) que personne ne fréquente? Que faut-il penser d’une conception du théâtre qui dit « peu m’importe le public, je fais mon œuvre en toute radicalité ». Il y a évidemment des moments où la radicalité est juste un peu en avance sur son temps: le théâtre de Beckett par exemple. Encore faut-il noter que la radicalité ici porte sur le texte qui, par définition, peut traverser le temps. Il peut aussi y avoir des radicalités refusées par l’institution (Musset et son théâtre dans un fauteuil, par exemple). Ce sont des radicalités en attente de reconnaissance, du moins pour le texte. Mais qu’en est-il d’une radicalité scénique qui fait fuir le spectateur? Une représentation théâtrale que personne n’a vue a-t-elle vraiment une existence? La radicalité n’a pas fait défaut chez Wagner, chez Stanislavsky, chez Meyerhold, chez Brecht, mais ces radicalités-là ont entraîné le public avec elles. A côté des radicalités productives de ce type, il y a aussi des radicalités mortifères (texte ou représentation) qui trouvent leur justification artistique dans le vide qu’elles produisent. C’est cette radicalité-là, me semble-t-il, qui se tire une balle dans le pied.