lundi 23 mai 2022

De la nouveauté

L’opéra contemporain, ce n’est pas du tout cuit, vite digéré servi avec une belle garniture dans un cadre idéal. Voilà déjà quelque chose qui m’intéresse. Cela m’intéresse davantage encore lorsque je vois des fragments d’une interrogation contemporaine sur le théâtre – ou, plus largement, sur la représentation – y être incluse. Lorsque, par exemple, je vois une interrogation se dessiner sur le jeu. La pratique actuelle de l’opéra court-circuite trop souvent la question de la direction d’acteurs. On voit trop de spectacles à l’image renouvelée, à la dramaturgie renouvelée même, mais où rien du renouvellement ne passe dans le jeu des chanteurs-acteurs. Tout au plus peut-on dire qu’ils sont mis en place (et pas en scène) de manière très conformiste dans un espace scénographico-dramaturgique qui ne l’est pas. L'opéra contemporain n'a rien à gagner en ne s'interrogeant pas sur le jeu.

Jean-Marie Piemme, Le Souffleur inquiet, Editions Espace Nord, 2012, page 209


RC
Tu mets le doigt sur un principe: la nouveauté appelle la nouveauté. Puisqu'il y a opéra contemporain (comprendre: différent des classiques, nouveau, novateur), il y a des nouvelles pratiques possibles. Ça ne fonctionne pas toujours hélas mais cela m'intéresse suite aux réflexions que nous avons déjà faites sur le théâtre comme lieu marginal donc de l'alternative. Ici, la nouveauté dans un milieu conservateur fait office d'alternative et permet d'élargir l'horizon. Quitte à proposer un "nouvel" opéra, autant modifier les pratiques. Quitte à rénover la maison, autant re-décorer (la métaphore est pauvre mais parlante je pense). C'est "l'occasion de". Mais pas sûr que ça marche. J'ai vu l'année dernière un opéra contemporain. Outre une histoire idiote, les façons de jouer étaient celle qu'on imagine, ringarde, dans l'opéra classique pour abonnés... néanmoins, si je n'ai pas l'occasion d'aller à l'opéra (Garnier, Bastille), j'ai des échos, et il semble que les choses changent. Les scénographies sont encore lourdes mais peut-être moins uniquement ornementales, le jeu semble évoluer... Je ne dis pas que l'opéra est totalement guéri de sa sclérose (le public fait de la résistance aux changements!) mais il me semble tout de même que ça évolue. Ton article est de 1993, que dirais-tu de tout cela aujourd'hui ?

JMP
Dans le monde de l’opéra, il y a (comme ailleurs) une aile conservatrice qui refuse de voir l’opéra comme une forme théâtrale (contre l’avis de Mozart, de Wagner ou de Verdi par exemple) et l’assimile à un pur acte musical. Cette aile conservatrice se moque du sens que l’opéra peut proposer. Seule la voltige des notes et de la voix l’intéresse. Et puis, il y a une aile plus novatrice, qui cherche à sortir des stéréotypes du jeu, qui reconnait aux œuvres une forte capacité de signification et veut restituer pleinement à l’opéra sa dimension théâtrale. Patrice Chéreau, Luc Bondy par exemple, y ont beaucoup contribué, Gerard Mortier aussi comme directeur à Bruxelles et à Paris. Il y a donc aujourd’hui des manifestations d’opéra théâtralement regardables, même si elles restent dans les frontières du genre. Le grand danger de l’opéra vient surtout de l’épuisement des œuvres. A force de tourner sur une quarantaine d’œuvres canoniques, les maisons d'opéra du monde entier finissent par les mettre à tellement de sauce que ça suscite (chez-moi en tout cas) un certain écœurement. C’est pourquoi j’ai aimé le geste de Castellucci introduisant dans La flûte enchantée de Mozart des moments nouveaux. L’œuvre se fracture, Castellucci fait se télescoper Mozart et le temps présent, le spectateur est mis face à ce choc. J’ai parlé avec des amateurs d’opéra qui étaient horrifiés, dégoutés qu’on puisse ainsi attenter à la dévotion sacrée qu’ils portaient à Mozart. Ils me faisaient penser à ces tout petits enfants qui sont affreusement dérangés quand on ne leur raconte pas aujourd’hui l’histoire comme on l’avait racontée la veille.

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