mardi 12 avril 2022

Du mouvement

La définition de ce que nous sommes est mouvement, retournement, pas de côté, retour en arrière, marche avant accélérée, dégagement, surplace, envolée, chute. C’est pourquoi nous aimons ce que nous n’aimions pas, ou nous n’aimons plus ce que nous avons aimé, pourquoi nous allons dans une direction pour aller dans une autre, pourquoi nous nous retournons pour voir autre chose que ce que nous avions vu, pourquoi nous nous haussons sur la pointe des pieds pour ne rien voir du futur, pourquoi, tout compte fait, nous sommes des bouffons entrant toujours en scène au mauvais moment, et quand il advient dans l’exception que nous entrions au moment adéquat, on peut être sûr que le hasard y a mis du sien en nous donnant le coup de pouce nécessaire. Mais rien de tout cela n’est triste ou lugubre. Tragique ou comique oui, ou les deux, et combien ! Mais pas dépressif. Il y a une jouissance de la composition/recomposition.

Jean-Marie Piemme, Accents toniques, Journal de théâtre 1973-2017, Editions Alternatives théâtrales, 2017, page 181


RC
Et qu'en est-il de l'exercice de la constance? On est d'une certaine façon ou on aime parfois certaines choses toute notre vie. Et d'autres choses changent. Penses-tu que nous devrions accepter de questionner nos goûts comme nous devons questionner nos idées? J'ai une fâcheuse tendance à me cramponner à des choses, à les user et ne les rejeter qu'une fois vraiment écœuré d'elles. En ce sens, je ne me sens pas acteur car je ne choisis pas, je me trouve lassé et je change. Faut-il, selon ta définition de mouvement, accepter cet état de fait et décramponner nos goûts?
Parfois je me demande si la fidélité à mes obsessions ne m'empêche pas de voir autrement et de découvrir d'autres choses.

JMP
Il y a certainement en nous une tension contradictoire à la permanence et au mouvement. Et à propos de mouvement tu connais peut-être ce très court texte de Brecht
« Un homme qui n’avait pas vu Monsieur K. depuis longtemps le salue ainsi :
- Vous n’avez pas changé du tout.
- Oh !, dit Monsieur K. en pâlissant. »
Inquiétude à l’idée qu’on reste le même. En effet, même celui qui ne change pas vit dans un monde qui change et cela affecte aussi sa permanence. Par exemple un comportement donné était louable pour une personne qui a 20 ans devient un comportement critiquable quand cette personne en a 80. Pourquoi? Parce que le monde a changé. Qu’on le veuille ou pas, le temps nous déplace. Proust excelle dans la perception des changements que le temps nous impose. On peut donc avoir changé en restant le même. Concernant le goût c’est pareil. Il y a eu un temps où ton goût pour ceci ou cela était « innocent ». Tu aimais ceci ou cela, point final. Mais aujourd’hui le même goût de ceci ou cela est interrogé, entre lui et toi tu as introduit la distance de la réflexivité, donc il y a mouvement. Tu n’occupes plus la même place par rapport à ton goût. Le raisonnement vaut pour l’obsession. L’obsession d’hier ne sera pas l’obsession de demain même si elle est identique. Il faut désubjectiviser cette question du mouvement et de la permanence, au moins si on analyse des situations, des trajets. Et si on se place au plan personnel, il faut considérer qu’il est parfois productif de renoncer à la permanence comme il peut être productif de ralentir le mouvement.

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