Emballez, c’est pesé ! Le pouvoir et l’identité. Notre identité est dépendante de nos intérêts et nos intérêts sont engendrés dans une multitude de rapports de forces. En conséquence, nos intérêts sont contradictoires, et notre identité infixable, toujours mobile, mouvante. Les gens sont noués par une multitude de rapports de forces. Leur identité est sans arrêt remodelée, déplacée, fracturée. Il faut écrire le mouvement des contradictions, leur dispersion, Emballez veut le tenter : Il n’y a pas d’affrontement central qui organise les oppositions entre personnages, mais un réseau de contradictions qui se déplacent au fil des affrontements partiels. L’idée d’un grand affrontement central est obsolète. Il n’y a plus qu’une myriade d’affrontements mais rien ne vient plus les totaliser.
Jean-Marie Piemme, Accents toniques, Journal de théâtre 1973-2017, Editions Alternatives théâtrales, 2017, page 207
RC
Je ne suis pas certain de comprendre cette histoire d'affrontement central et notamment son obsolescence: veux-tu dire qu'il n'y a pas ou plus de possibilité de frontalité pour régler/avancer/résoudre/apaiser car nos contradictions ne permettent pas de régler les choses en une fois avec une personne? Je crois comprendre deux choses:
- Hollywood créé des raccourcis en tentant systématiquement de tout régler par un affrontement final avec un personnage qui cristalliserait et rassemblerait tous nos soucis/questions/contradictions.
- En parlant d'obsolescence, tu "accuses" des œuvres passées, voire des auteurs du passé d'avoir fait preuve de légèreté ou d'avoir utilisé ces raccourcis. Des exemples?
JMP
Il est ici question de certaines conceptions du pouvoir. On peut concevoir le pouvoir comme le résultat d’un affrontement entre deux forces, en gros, les dominants et les dominés. Une autre définition du pouvoir consiste à dire que le pouvoir ne se concentre pas dans l’affrontement de deux groupes mais qu’il est partout et à tous les niveaux de la société. Qu’en est-il par exemple du pouvoir du médecin sur le patient? Du mari sur sa femme? Du plus pauvre des pauvres sur son chien? De l’enseignant sur l’élève, etc.? La première conception, le grand affrontement, ne permet pas de répondre aux questions posées. On ne peut pas dire que les problèmes que posent ces questions seront résolues quand par exemple, la force 1 a gagné contre la force 2 (ou l’inverse). Avec la première conception, on ne peut pas aborder certaines contradictions. Par exemple : le leader syndical qui tyrannise son personnel proche; ou l’avocat de gauche/droite qui croit aux valeurs républicaines mais bat sa femme. Ou encore, le médecin qui traite son patient comme un objet à réparer, les rapports de forces dans un couple, etc. Ce type de contradictions peut être pris en compte si on se règle sur l’idée que le pouvoir est partout toujours à l’œuvre dans tous les rapports humains. Et que là où il y a du pouvoir, il y a de la résistance : tout cela a été théorisé par Foucault. Il est certain que la première conception conduit vite au manichéisme et qu’elle a une fécondité narrative (le bien contre le mal, le bon contre le méchant) et l’industrie cinématographique en fait grand cas. Dans Emballez, c’est pesé !, je voulais traiter du pouvoir au quotidien. La pièce touche à la question du racisme et je voulais montrer comment agit la cascade du pouvoir dans cette thématique.