L’acteur le plus naturel, celui qui ne triche jamais, qui est là sur la scène et simplement là, celui qui ne vous baratine pas, qui se montre d’une parfaite sincérité, celui qui a parfaitement réussi à vaincre l’épreuve du quatrième mur, c’est le chien en scène. Quoi de plus vrai qu’un chien en scène ? Quel est l’acteur qui peut tenir dix secondes devant le naturel d’un chien en scène ? Malheureusement le chien ne raconte que son naturel de chien, ne sachant même pas qu’il le raconte, c’est pourquoi l’envie de l’envoyer à la niche s’impose rapidement. Laissons donc le naturel aux chiens et souhaitons aux acteurs une vraie présence d’artifice.
Jean-Marie Piemme, Accents toniques, Journal de théâtre 1973-2017, Editions Alternatives théâtrales, 2017, page 113
RC
Comment te remercier pour cet article? J'en ai débuté la lecture en me disant rapidement qu'on aurait encore le droit au fameux exemple du naturel des animaux, dont je me fiche éperdument si ce n'est dans la vie pour les observer par moments. Et là tu me surprends en retournant le propos. Merci. S'il n'y a pas de conscience du jeu, si c'est à l'insu de l'acteur, ce n'est pas du théâtre. À la rigueur on peut, dans la vie, voir une scène dans la rue et se dire « c'est du théâtre et je suis spectateur ». Oui le spectateur peut décréter le théâtre (« theatron » en grec, le lieu d'où l'on regarde). Mais il y aura toujours quelque chose d'inabouti, de biaisé. Le théâtre est donc artifice, c'est cela qui le rend exceptionnel. Sinon autant juste s'asseoir à une terrasse un jour de marché et prêter l'oreille. J'ai mis en scène Le Tartuffe de Molière avec un chien, celui de Mme Pernelle, sur scène. Fantaisie du moment. Mémère au chien-chien avec son tailleur rose et son bonnet léopard. Parfois des spectateurs s'en souviennent; parfois ils ne se souviennent que de cela. D'une certaine façon, le chien était l'opposé des personnages, Mme Pernelle pleine de principes, Orgon aveuglé par la douleur ancienne du veuvage remplacé par la religion, Elmire qui ne s'avoue pas son trouble pour Tartuffe. Notre Flipote était Valère déguisé. Damis assume le piège à Tartuffe à l’acte III. Elmire aussi à l’acte IV. Seul Tartuffe ne ment pas. Il dit à Elmire qu'il la désire et c'est vrai. Il dit à Orgon qu'il est « un méchant, un coupable » et c'est vrai. Il revient confiant au cinquième acte sûr d'être dans son bon droit mais « Le Prince » dit le connaître et savoir ses duperies. À l'époque le président Sarkozy cherchait des coupables pour les voitures brûlées dans les banlieues. Pour moi la pièce est un piège qui se referme sur un petit escroc minable. Chacun utilise Tartuffe pour se faire entendre, raisonner les autres. Tartuffe est comme le chien de Mme Pernelle. Il tente de saisir l'os mais oublie qu'il est en laisse et qu'elle est trop courte. Mais je m'arrange avec le passé en écrivant ces lignes. J'avais mis ce chien par amusement à l'époque et si c'était à refaire, je ne le referais pas, pour les raisons que tu énonces.
JMP
L’idée d’une madame Pernelle comme mémère à chien me plait bien, ça la caractérise, ça l’inscrit dans du social. Et quand je récuse le chien, ce n’est pas forcément à sa présence sur scène que je m’en prends, mais (comme tu le dis justement) à tous ceux qui érigent le chien en modèle de jeu. A la promotion du naturel, je préfère opposer l’injonction que Brecht faisait aux acteurs : montrez que vous montrez. Ainsi l’idée qu’on agit en pleine conscience sous le regard de l’autre est manifeste. Et s’il faut de la pulsion pour jouer, c’est de la pulsion toujours perçue comme signe à décoder.