N'est-il pas symptomatique que l'on entende quasiment plus parler de la conjonction du théâtre et du politique? Il y a quinze ans, on était intarissable sur la question; aujourd'hui on se demande si elle a jamais existé. Ne sommes-nous pas en train de vivre comme des fils de famille sur une fortune acquise jadis de haute lutte? N'adoptons-nous pas nous-mêmes cette attitude de gestionnaire avisé plus soucieux des continuités que des ruptures?
Jean-Marie Piemme, Le Souffleur inquiet, Editions Espace Nord, 2012, page 165
RC
Cet article est de 89. Et tu y critiques la décennie qui s'achève. Et j'ai toujours pensé que ce phénomène dont tu parles commençait seulement dans les années 90, après des années 80 glorieuses... et encore politiques (je parle pour le théâtre)! Que devrais-je dire alors, avec mon parcours de spectateur qui commence autour de 2000, et qui aujourd'hui déplore non plus 30 ans mais 45 ans de deuil relationnel entre le théâtre et le politique? J'ai vite compris, étudiant, que nous vivions sur nos acquis, que l'excitation créative de 68 qui passait par le politique était bien finie.
JMP
Concernant le thème théâtre et politique la prudence épistémologique invite à ne pas faire des mots "Théâtre" et "Politique" des essences intemporelles. Ce que j’appelais politique en 89 n’est peut-être pas la même chose que ce que le mot recouvre aujourd’hui. La mondialisation, évidente aujourd’hui avec la covid, n’était pas encore là, la géopolitique n’était pas la même, la question climatique n’était pas à l’ordre du jour, et l’anti intellectualisme n’avait pas encore sévi au point où il sévit aujourd’hui. Comment le théâtre peut-il être politique aujourd’hui, difficile de le dire. Sans militance certes, mais plus que jamais en abordant le réel avec ses moyens spécifiques : le corps de l’acteur, les mots, l'artifice. Le théâtre traduit d’abord notre présence humaine dans un monde qui efface nos contours. Sa valeur aujourd’hui est peut-être plus anthropologique que politique. Je le vois comme un souffle d’imaginaire qui fait voir le monde sous des angles singuliers, qui parle à des individus dans leur singularité.