La culture ne peut pas être considérée comme un donné positif en soi. Il faut plutôt la concevoir comme l’enjeu d’un combat sans fin. Car, sans même parler d’un usage de la culture comme arme de pouvoir, ne connaissons-nous pas mille exemples de culture inopérante, inutile? La culture de Céline a-t-elle empêché son antisémitisme virulent? L’intelligence philosophique de Heidegger l’a-t-elle préservé de la tentation nazie? L’immense culture d’Aragon lui a-t-elle évité d’avaler les couleuvres du stalinisme? N’y a-t-il pas une culture de droite et même d’extrême-droite? Dans les années 20 et 30, Léon Daudet, Drieu La Rochelle, Charles Maurras, Robert Brasillach, le Giraudoux de Pleins pouvoirs étaient-ils des hommes incultes? Et des gens de haute culture qui ne sont que des chiens de garde ou même des chiens tout court, on en connaît, non?
Jean-Marie Piemme, Accents toniques 2 et Accents toniques 3, 2017-2021. (Inédits)
RC
À juste titre, tu pointes le fait que l'extrême-droite abonde en personnes cultivées mais que cela ne les empêchent pas d'avoir les idées qu'elles ont. C'est que, je crois, la culture est un outil, et qu'un diplôme ou quelques œuvres lues, vues, étudiées et même comprises ou ressenties ne dispensent pas d'un exercice de digestion, reformulation, appropriation du propos. En outre, il faut un peu d'honnêteté intellectuelle, mais aussi de la rigueur, de la précision, de la nuance. En ce moment un énergumène essaie en France de rentrer dans la course à la présidentielle en assénant de soi-disant analyses de société fondées notamment sur l'Histoire. Il n'a pas peur de dire des énormités, de regarder l'Histoire à sa manière pour qu'elle entre en cohérence avec le discours haineux et clivant qu'il veut nous faire passer pour l'opinion générale. On en attend plus d'un homme aussi médiatisé. On voudrait de la nuance, de la dentelle, un jeu d'équilibriste. Des universitaires passent des années à fouiller pour oser dire, avec précautions et références à l'appui, quelque chose qui se veut juste. Lui, l'énergumène, dit n'importe quoi pourvu que cela flatte un certain électorat. J'ai déjà vu ce phénomène avec d’autres politiques par le passé: peu importe ce qu'on dit si les gens sont prêts à l'accepter. Et même démentie le lendemain dans un grand quotidien, cela ne change rien: le ver est dans le fruit et l'information, qu'elle soit fausse, maladroite ou sans nuance vaut parce qu'elle a été affirmée avec l'aplomb du dogme. En ce sens, il me semble que la culture, outil formidable, si elle est utile à tous, nécessite un traitement personnel, et peu même devenir dangereuse entre les mains d'arrivistes.
JMP
Je partage ton avis : elle ne sert à rien ou pire elle mène dans le mur si elle ne fait pas l’objet d’une appropriation personnelle et d’une mise en relation avec des éléments du réel. D’une certaine façon, la culture est impuissante devant la croyance. C’est tout le problème de l’aveuglement de l’intelligence et de la raison face à « la foi qui soulève les montagne ». La culture ne suffit pas, il faut encore arriver à faire quelque chose de sa culture, à la faire travailler vers le doute, le questionnement, la précision, la nuance et ne pas en faire un lieu d’enfermement sur des privilèges et un mode de justification de la hiérarchie sociale.
RC
Cela me rappelle ce que nous avions échangé sur l'accès à l'éducation culturelle et la curiosité. La première est une opportunité mais elle ne suffit pas s'il n'y a pas la seconde pour entretenir, bousculer, créer du mouvement, de la pensée.